31/10/2024 ssofidelis.substack.com  4min #259816

De « fausses pommes de terre » pour mon fils

Par  Nour Abu Dan pour  The Electronic Intifada, le 31 octobre 2024

Chacun d'entre nous a en mémoire des dates spéciales gravées dans nos mémoires - l'anniversaire d'un être cher, une réussite ou un anniversaire de mariage. Une date inoubliable pour moi, le 3 septembre 2024, marque le jour où mes enfants, Abdul Kareem, 3 ans, et Yumna, 5 ans, ont vu des pommes de terre pour la première fois depuis plus de 11 mois.

Ce jour-là, une organisation a distribué des colis alimentaires contenant des fruits et des légumes à plusieurs familles, car la  malnutrition et la  famine extrême sévissent à Gaza. Malheureusement, nous ne faisions pas partie des bénéficiaires. Mais nos voisins, malgré leur famille nombreuse et le contenu limité du colis, ont insisté pour partager avec nous.

Leur altruisme, surtout dans des circonstances aussi difficiles, est l'un des plus beaux exemples de générosité dont j'ai été témoin. Nous avons reçu trois petites pommes de terre, une tête d'ail et deux oignons. Nous étions immensément reconnaissants pour ce petit trésor.

Lorsque Abdul Kareem a vu les pommes de terre, son plat préféré, il a hésité à les nommer. Aurait-il oublié ? Il m'a alors demandé avec une curiosité innocente :

"Où étaient passées ces pommes de terre ? Comment se fait-il qu'elles disparaissent et qu'elles réapparaissent tout à coup ?".

Je ne savais pas comment répondre à ses questions, qui reflétaient à la fois son innocence et la dure réalité à laquelle il est confronté.

Nous avons préparé le repas de pommes de terre tant attendu, en rationnant la nourriture de manière à ce que chacun reçoive deux petits bouts pour que tout le monde en profite. J'ai donné ma part à mon fils, mais même ainsi, la quantité était trop chiche pour lui. Il s'est mis à pleurer, demandant s'il y en avait encore. J'ai essayé d'acheter des pommes de terre, mais j'ai été choquée par le prix d'une seule pomme de terre, qui coûte aujourd'hui environ 28 dollars - une dépense impossible en ces temps difficiles.

Deux jours plus tard, alors que je naviguais sur les réseaux sociaux, je suis tombée sur une page gérée par une jeune femme du nord de Gaza qui, comme nous, souffre de la même famine. Elle propose des recettes créatives en utilisant les conserves et les ingrédients simples dont elle dispose.

Une vidéo a attiré mon attention : une  recette intitulée "Fausses pommes de terre". Le nom m'a fait sourire : comment des pommes de terre pourraient-elles être fausses ? Mais la curiosité a pris le dessus, et j'ai regardé.

La femme a ouvert une boîte de pois chiches, les a mélangés à de la farine et aplati la pâte. Elle a ensuite découpé la pâte en morceaux ressemblant à des pommes de terre et les a fait frire.

J'ai immédiatement décidé d'essayer cette recette, en priant pour que mes enfants l'apprécient.

Lorsque j'ai terminé la préparation, le repas ressemblait étrangement à de vraies pommes de terre. Je l'ai servi à mes enfants. Leur joie était indescriptible lorsqu'ils ont dévoré la grande assiette de "pommes de terre". Abdul Kareem a levé les yeux vers moi et m'a demandé : "Est-ce que tout est pour moi ?". J'ai souri et j'ai répondu : "Oui".

Ils ont mangé de bon cœur et ont tellement apprécié qu'ils semblaient avoir oublié le goût des vraies pommes de terre.

À la fin du repas, je leur ai promis de leur préparer des "pommes de terre" tous les jours. Ils ont ri et m'ont demandé : "Comment tu vas faire pour avoir des pommes de terre tous les jours ?" Nos enfants, bien trop tôt en âge, ont appris de dures leçons, des leçons qu'ils ne devraient jamais avoir à connaître - comme la famine dévastatrice que nous vivons.

Demain, je tente la  recette du "faux fromage". Jusqu'à ce que Dieu bénisse la fin de cette guerre et le retour aux vraies choses qui nous ont tant manqué, je continuerai à fabriquer les "faux" plats qui mettent un peu de joie dans nos vies.

* Nour Abu Dan est écrivain à Gaza.

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